© John Obed

Lorsque l’on entend « prison pour femmes », on pense souvent à « Orange is the new black ». Diffusée sur Netflix entre 2013 et 2019, la série racontait le quotidien d’un établissement pénitentiaire de sécurité minimale, pour femmes dans le Connecticut. Mais que se passe-t-il réellement dans la tête d’une femme qui a été condamnée à de la prison ferme en France ? Comment gère-t-on un départ précipité vers une destination qui met, littéralement, sous verrou tous vos projets de vie ? Marcel/le s’est entretenu avec Manal qui a passé deux ans dans une prison pour femmes pour « vols ». Entretien intime. 
Comment a commencé votre histoire ? 
J’étais amie avec une fille que j’ai rencontrée pendant mes études à la fac. On s’est tout de suite bien entendues et elle a proposé de me présenter un garçon qui était son ami d’enfance. Entre nous, le feeling est tout de suite passé, même s’il habitait dans le sud de la France et moi dans l’ouest. On a commencé une relation amoureuse à distance. J’avais énormément confiance en lui… jusqu’à ce que je découvre qu’il me trompait régulièrement. C’est là qu’il a subitement disparu et je n’ai plus eu de nouvelles pendant deux ans. Le destin a fait que nos chemins se sont recroisés. C’est dingue quand j’y repense… Bref, naïvement je pensais qu’il avait changé. Il me disait qu’il m’aimait toujours. En fait, il s’était rapproché de moi car il avait besoin d’argent. Ses parents l’avaient entretenu toute sa vie et lui avaient coupé les vivres pour le rendre indépendant mais il refusait de travailler. Il me demandait de l’argent sans cesse : « Je te les rendrais le mois suivant » mais il ne m’a jamais rien remboursé. J’ai puisé dans mes économies, tout mon salaire y passait et j’ai commencé à souscrire à des crédits. Je suis tombée dans les limbes de l’enfer à cause de lui. Je ne réfléchissais plus par moi-même. J’étais devenue un robot, je ne pensais qu’à trouver des moyens de lui procurer plus d’argent. J’étais amoureuse et aveugle, il avait une emprise très forte sur moi.
Quand avez-vous compris que vous n’alliez pas échapper à une peine de prison ? 
Je ne souhaite pas rentrer dans les détails mais lorsqu’on m’a arrêtée, un policier m’a dit cette phrase : « Vous avez gâché votre vie en prenant de mauvaises décisions mais vous aurez le temps d’y réfléchir en prison ». Je me rappelle encore de ce moment.
Comment a réagi votre compagnon ? 
Il s’en moquait. J’ai vraiment mal vécu sa trahison, sa manipulation et ses mensonges. 
Vos proches, vos amis ? 
Tout le monde est tombé des nues. J’avais réussi à tout cacher mais quand j’y repense, j’en ai encore honte. De leur avoir fait subir ça… Mon ex avait fait en sorte de m’isoler de mes amis, de mon cercle proche. Il avait réussi à me faire couper les ponts, donc personne ne savait ce qu’il se passait vraiment.
Vos collègues ? 
Je ne sais pas, je n’ai revu personne. 
Comment vous êtes-vous préparée à partir en prison ? 
On ne peut pas s’y préparer quand on se pense intouchable. Encore aujourd’hui, il m’arrive de me demander si tout ça m’est bien arrivé. C’était un cauchemar, je n’y croyais pas. J’ai payé le prix fort.
A quoi avez-vous pensé dans la voiture qui vous amenait en prison ? 
J’étais menottée et j’ai regardé le ciel, j’avais peur de ne plus le voir. Je ne savais pas à quoi m’attendre sur place. J’ai beaucoup pensé à mes proches, à ma famille. Ce qu’ils allaient penser, ce qu’ils allaient dire, comment j’allais surmonter cette épreuve. 
Avez-vous eu peur ? 
Oui, énormément ! Je me repassais les scènes qu’on voit dans les séries américaines : est-ce que je vais me faire agresser, tabasser, violer ?
Comment avez-vous géré cette peur ?
J’ai eu peur mais après, j’ai compris qu’il ne fallait pas se mêler à tout le monde et ne surtout rien dire de son passé ou de sa vie extérieure. C’est comme ça qu’on se protège. 
Quel sentiment prenait le dessus ? 
Chaque jour, ma seule peur était de me faire frapper sans raison. 
Comment s’est déroulée la première journée ? 
Je ne sais plus. Je n’ai pas envie d’y repenser. 
Une journée classique ? 
En général, il y a le lever avec le petit-déjeuner. On a ensuite droit à une promenade d’une heure, une heure trente. Vient ensuite, le repas du midi. Deuxième promenade du jour, puis activités ou ateliers et retour en cellule pour dix-huit heures précises, avec fermetures des portes. Le samedi, on avait droit à la visite des proches. 
Comment se sont passées ces années finalement ? 
J’ai su occuper mon temps en suivant des formations, en participant à beaucoup d’activités aussi.
A quoi pense-t-on, enfermée entre quatre murs ? 
On repense tout le temps aux erreurs qu’on a commises, aux choses qu’on n’a pas faites mais surtout à l’avenir. On fait des projets etc.
A quoi avez-vous pensé la veille de votre libération ? 
Que j’allais pouvoir resserrer dans mes bras ma famille.
Avec les années qui sont passées, est-ce qu’il y a une chose que vous auriez faite différemment là-bas ? 
Non, je ne pense pas.
Qu’avez appris sur vous avec cette peine de prison ? 
Je suis capable de surmonter le passé et de réfléchir sur moi-même. 
Si vous aviez en face de vous Manal, la veille de l’entrée en prison, que lui diriez-vous ? 
J’aurais préféré lui parler avant le début des problèmes et lui dire : « Stop : demande de l’aide ! ».
Un mot pour résumer votre parcours ?
Grandie. 

 

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