L’endométriose : « La maladie de bonne femme » qui bouscule le corps médical

par | Juin 24, 2018 | Sociétés | 0 commentaires

Série de photos “Red Flow” de la créatrice Manhei Chan

« Je souffre depuis mes premières règles, c’est-à-dire depuis que j’ai onze ans. On m’a mis sous morphine, codéine et antidépresseurs dès le début sans savoir ce que j’avais mais ça n’a rien changé. Personne ne me croyait quand je disais que j’avais mal. Plus tard, mon ex mari et sa famille me disaient d’arrêter de faire ma traumatisée. Ils me traitaient de saignante. » Iris B, 39 ans, est atteinte d’endométriose depuis toujours mais elle n’a été diagnostiquée qu’à l’âge de 29 ans.

Cette maladie pour le moment incurable touche une à deux femmes sur dix en France et est la deuxième cause d’infertilité après les MST. Et parce que c’est une pathologie encore peu connue du corps médical dans son ensemble, elle n’est diagnostiquée que sept à dix ans après les premières douleurs. En cause : l’endomètre, la muqueuse utérine, qui saigne pendant les règles. Chez certaines femmes, celle-ci se détache pour venir se fixer sur d’autres parois comme les ovaires, la vessie, les intestins ou d’autres organes encore. En règle générale, le phénomène provoque des douleurs extrêmes pendant les règles mais aussi parfois pendant les périodes d’ovulations et lors des rapports sexuels. Les malades restent alors alitées plusieurs jours, s’isolant un peu plus de leurs proches et de leur travail. Décrite pour la première fois en 1860, l’endométriose restait en 2016 encore, ignorée des médecins et de la société. Depuis, cette maladie s’est faite connaître grâce à une parole de plus en plus libérée.

La « résistance culturelle » ou l’image pré-fabriquée des femmes par la société

Qui n’a jamais entendu, pensé ou affirmé : « T’as mal pendant tes règles ? C’est normal, ça va passer ! » ? Dans l’imaginaire collectif, les femmes seraient par nature douillettes et vouées à souffrir. La faute au célèbre « tu enfanteras dans la douleur ». Une idée autant partagée par les hommes que par les femmes. Car, incitées à souffrir en silence, les femmes ont fini par serrer les dents et à transmettre à leurs filles ces représentations façonnées par la société. La psychologue Sophie Younes décrit le phénomène de « résistances culturelles et médicales » tant la souffrance des femmes est peu considérée. Dans l’Antiquité, des écrits parlent de femmes hystériques pendant leurs menstruations. En 2018, en France, on qualifie encore certaines de folles et on ne parle toujours pas librement du sujet tabou que sont les règles. « Pour mon père, je somatisais. Pour ma mère, j’étais hypocondriaque. Dans les deux cas, c’était des excuses pour ne pas aller à l’école », se souvient Stéphanie, 41 ans, hôtesse de l’air porte parole de l’association EndoMind chez Air France. Séverine, quant à elle, a été incitée par sa gynécologue à aller voir un psychologue : « Il m’a répondu que j’avais mal parce que je n’acceptais pas mes règles. » Les femmes touchées par l’endométriose se retrouvent souvent face à des yeux écarquillés et de nombreux soupirs car la maladie est invisible et incomprise. La pathologie évolue alors en silence finissant par causer l’infertilité mais aussi l’ablation partielle ou totale de certains organes. « L’endométriose est clairement une maladie de la féminité. On ne la prend pas au sérieux car elle ne touche que les femmes. S’engager contre elle, c’est rechercher en quelque sorte l’égalité homme-femme », affirme le professeur Peter Von Theobald, chef de service de gynécologie obstétrique au CHU de La Réunion et membre du Comité scientifique d’EndoFrance. « C’est tout simplement une maladie de bonne femme ! », s’exclame Louise, 29 ans.

Le corps médical marqué par les préjugés de la société

Les médecins aussi voient par le prisme des représentations collectives. De nombreuses études prouvent  que la prise en charge des patients à l’hôpital change selon le sexe de la personne. « Une étude américaine a montré qu’un homme se plaignant de douleurs thoraciques était immédiatement pris en charge quand une femme présentant les mêmes symptômes était juste considérée comme stressée », confirme Virginie Riga, chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) dans la section Genre, Sexualité, Santé. Face à la maladie, le corps médical est resté longtemps silencieux. Le professeur Von Theobald de préciser qu’il y a encore quinze ans les médecins étaient majoritairement des hommes. La maladie n’est donc pas enseignée dans les neuf premières années d’études de médecine générale et elle n’est abordée que de manière succincte lors des deux années de spécialisation en gynécologie. Une surprise quand on sait que cette maladie mobilise aussi radiologue, gastro-entérologue, urologue et d’autres. Soit autant de spécialistes d’organes que la maladie peut toucher car il existe non pas une endométriose mais des endométrioses. Il en ressort que les médecins généralistes – les premiers à être en contacte avec des jeunes filles en pleine puberté – sont incapables de desceller la maladie, associant alors les douleurs de règles à un fait normal. « Ce n’est que plus tard, grâce à la persistance de ma gynécologue sensibilisée à la maladie que j’ai pu être diagnostiquée », témoigne Louise. Cette errance médicale finit par créer un sentiment d’injustice chez les femmes atteintes. Certaines parlent même de génération sacrifiée de l’endométriose. La France accuse un retard de dix ans face à des pays à la culture patriarcale forte comme l’Italie ou le Brésil.

Erick Petit, radiologue à l’hôpital Saint Joseph de Paris croule sous la demande grandissante des femmes atteintes d’endométriose, au point qu’il s’occupe exclusivement de cette maladie depuis trois ans : « On a tourné en rond en niant cette maladie organique alors que c’est un problème de santé publique au même titre que le diabète. » Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 2,1 et 4,2 millions de Françaises sont concernées par l’endométriose quand, en 2009, on recensait près de 3,5 millions de Français diabétiques. Le radiologue insiste sur l’importance d’avoir des « endométrologues » autant que des diabétologues. En d’autres termes, la maladie doit devenir une spécialité à part entière. Nathalie Clary, présidente d’EndoMind prouve que la demande est forte : « La page la plus consultée de notre site est de loin celle des quatre-vingts médecins qui nous soutiennent et qui ont une expertise dans le domaine. » Cependant, d’autres médecins sont plus pondérés. Pour Xavier Fritel, professeur au CHU de Poitiers, on ne parle pas plus de la maladie parce qu’on se soucie davantage de la femme, mais parce que la science a fait des progrès importants en imagerie. Il reste que la maladie doit se faire connaître de plus de médecins car trois quart des jeunes patientes du docteur Petit parviendraient à se diagnostiquer seules, grâce à Internet. Sensible au sujet, Najat Vallaud-Belkacem a été une des premières au gouvernement à amorcer le débat lorsqu’elle était ministre du Droit des femmes : « Une prise de conscience doit être faite chez les professions de santé. Sans doute que si c’était le quotidien des hommes qui était atteint, on aurait réagi plus tôt. »

La mobilisation de masse fait plier le corps médical

Forums, associations, déclarations publiques, marches mondiales et maintenant une campagne nationale… Les médecins sont contraints à ne plus ignorer l’endométriose malgré la résistance de gynécologues qui parlent maladroitement de maladie à la mode et qui redoutent le phénomène de panique chez les jeunes femmes. « Avant, il ne se passait pas grand-chose. Aujourd’hui, on met le corps médical au pied du mur, on fait bouger les choses », affirme Nathalie Clary. Sur Google Trends, le nombre d’occurrences du terme « endométriose » connaît un premier pic de recherche en 2011, période à laquelle des associations ont vu le jour. Depuis, en février 2015 et mai 2018, les requêtes ont explosé. Des femmes – dont la chanteuse Imany et l’actrice Laetitia Milot pour la France – témoignent sans filtre. Des journaux à la voix forte s’engagent à faire connaître l’endométriose et à lutter contre, à l’instar du magazine Elle : « Les médias ont leur rôle à jouer pour mettre en lumière le quotidien de chacune. Cela peut donner le déclic pour aller consulter et c’est tant mieux », soutient Emilie Poyard, journaliste et chef du service société de Elle.fr. Enfin, les ministères de l’Education et de la Santé s’étaient engagés en 2016 dans une convention à informer et former les directeurs des écoles, les infirmiers scolaires et les enseignants d’éducation sexuelle. Ainsi, les jeunes filles pourront être prises en charge dès leurs premières règles si elles le souhaitent et les enfants, véritables vecteurs d’informations dans les foyers, pourront renseigner leurs parents et faire taire les vieux clichés. « On fait bien des campagnes de sensibilisation contre les troubles de l’érection, je ne vois pas pourquoi on n’en ferait pas sur l’endométriose », conclut avec justesse Louise.

La créatrice Manhei Chan a réalisé une série de photos intitulée “Red Flow” pour en finir avec le tabou des règles. Son compte Instagram : @chanmanheyyyy

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