Femmes d’art : le multi-médias qui donne la parole aux grandes oubliées de la culture

par | Jan 27, 2021 | Cultures | 0 commentaires

Logo “Femmes d’art” de MArie-Stéphanie Servos

Des femmes, il y en a. Des engagées aussi. Et Marie-Stéphanie Servos fait partie de celles-là en toute discrétion. Cette jeune journaliste qui signe pour un grand titre à penser en parallèle tout un univers médiatique autour des femmes artistes intitulé sobrement “Femmes d’art“. Magazine en ligne, compte Instagram – qui a dépassé les 10k, podcast et club… Elle anime avec brio, douceur et bienveillance tout ça. Et ça fait du bien. Grâce à elle, des artistes fabuleuses ont un nouvelle écho qu’elles méritent largement et nous, on se couche moins bêtes. Que demander de plus !

Salut Marie-Stéphanie,peux-tu nous dire qui tu es et ce que tu fais dans la vie ?

Bonjour Nolyne ! Et merci beaucoup pour cette interview. Je m’appelle Marie-Stéphanie Servos, j’ai 28 ans et je suis journaliste. J’ai travaillé en radio pour France Inter et France Info et plus récemment en presse magazine pour le ELLE. Fin 2019, j’ai créé Femmes d’art, un média, un podcast et un club dédiés aux femmes qui font le monde de l’art.

Justement, pourquoi « Femmes d’art » ? Et comment t’est venue l’idée ?

L’objectif de Femmes d’art est de donner la parole à toutes les femmes qui évoluent dans le monde de l’art et de braquer les projecteurs sur leur travail, qu’elles soient artistes, galeristes, historiennes, auteures, à la tête d’institutions… J’ai toujours été passionnée d’art, j’ai même fait un bout de mon cursus en histoire de l’art. Mais je ne suis pas experte dans le domaine. Un jour, j’ai eu envie de découvrir des femmes artistes que je ne connaissais pas. J’ai pensé que le meilleur endroit pour cela serait un musée, et qu’il me suffirait de poser mes yeux au bas d’un cartel pour y voir le nom d’une femme. Sauf que j’ai eu beaucoup de mal à en trouver ! C’est à ce moment que j’ai réalisé que le travail des femmes artistes était très peu représenté dans les musées. Pour vous donner un ordre d’idée, au Musée seulement 2% des œuvres  exposées ont été réalisées par des femmes. Puis, je me suis intéressée aux galeries. Parmi les plus grosses, qui trustent le marché, la plupart sont dirigées par des hommes, et ne représentent que très peu de femmes (pour certaines, c’est seulement une femme !). J’ai commencé à me poser des questions, à lire, à me renseigner, pour découvrir que ce n’était que l’arbre qui cachait la forêt… ça a été un vrai choc, car j’ai toujours cru très naïvement que le monde de l’art était épargné par toutes les inégalités qui existent dans le reste de la société. D’où mon envie de donner la parole à toutes ces femmes, pour les entendre me faire part de leurs difficultés bien sûr mais surtout pour qu’elles me parlent de toutes leurs réussites ! Et il y en a !

C’est donc essentiel de faire un focus sur les femmes dans le milieu de l’art.

L’art n’a pas de genre, mais la réalité est ce qu’elle est. Les femmes sont plus nombreuses dans les écoles d’art, mais elles sont presque absentes par la suite des grandes galeries, des classements des œuvres les plus / les mieux vendues, des expos des musées, des résidences. Et surtout, elles sont confrontées à plus de difficultés, notamment lorsqu’elles deviennent mères, et tout cela, sans compter le sexisme qui existe bel et bien dans ce domaine. Les choses s’améliorent évidemment beaucoup et il faut le souligner. Mais comme dans d’autres secteurs, si on ne pousse pas pour rendre les femmes plus visibles, pour faire avancer les choses, l’évolution sera bien plus lente. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut favoriser l’art des femmes parce qu’elles sont des femmes, bien sûr, mais leur travail mérite grandement d’être mis en valeur.

Est-ce que l’on peut affirmer que l’art a été pendant un temps un milieu misogyne ? Ou l’est peut-être toujours ?

Le monde de l’art a longtemps été, à l’égal du reste de la société, un milieu misogyne et sexiste. Pendant très longtemps, les femmes n’ont pas eu le droit de créer autrement que par loisir. Elles sont très peu à avoir été visibles, et les rares femmes artistes que l’histoire de l’art retient ont pour la plupart eu la chance de bénéficier d’un soutien : un père ouvert d’esprit, un frère peintre… Mais souvent, elles devaient signer sous un prête-nom ou avec  le nom de leur maitre. Il faut aussi se souvenir qu’elles n’avaient pas accès aux écoles d’art jusqu’à la fin du 19e. Artemisia Gentileschi a par exemple dû peindre cachée chez son maître pendant longtemps, et signer d’un nom d’emprunt… Aujourd’hui, les choses sont bien différentes et heureusement ! Les inégalités tendent à se réduire au sein de la plus jeune génération et chez les artistes émergents, les femmes sont très nombreuses à la tête d’institutions de renoms. Mais le monde de l’art reste toutefois un milieu sexiste, que l’on soit artiste ou non. Comme dans le reste de la société, les femmes ont plus de mal à briser le plafond de verre, elles sont moins bien payées à poste égal que les hommes, elles sont moins représentées et ont plus de mal à vivre de leur art.

Que représente l’art pour toi ?

Grande question ! L’art fait pour moi partie intégrante de la vie. Il est un moyen différent de communiquer, de raconter notre société. On néglige souvent le regard des artistes, pourtant ils ont des choses à dire. Ils sont le reflet de notre société mais sont aussi à l’avant-garde des changements dont notre monde a besoin, par leurs pratiques, par leurs messages. Et bien sûr, l’art fait du bien à l’âme. C’est d’ailleurs prouvé scientifiquement ! L’art est hautement nécessaire, et le mot est faible. Dans ma vie personnelle, c’est quelque chose dont je ne pourrais pas me passer, dont j’ai besoin pour me nourrir, pour m’inspirer au quotidien, cela me rend heureuse, tout simplement.

Quelles sont les artistes qui t’inspirent le plus ?

Question pas facile, que je pose à chacune de mes invitées, et je me rends compte de la difficulté !  Il y en a tant… Parmi celles qui ont fait l’histoire de l’art, je pense bien sûr à Artemisia Gentileschi, Lavinia Fontana, Sofonisba Anguissola parce qu’elles sont des pionnières, des femmes courageuses, qui se sont affirmées à une époque où la femme avait sa place toute désignée au foyer et à s’occuper des enfants. Elles ont refusé cela pour faire ce qu’elles aimaient, ce qu’elles voulaient, cela force évidemment le respect. Ces femmes ont posé les jalons des luttes de leurs futures consœurs. Plus proche de nous, je suis une grande admiratrice de Sonia Delaunay. Pour son histoire, parce qu’elle s’est émancipée, a su s’imposer (bien avant son mariage avec Robert Delaunay, auquel on l’associe pourtant trop souvent) en tant que peintre respectée. Et bien sûr, pour son travail ! Elle est une véritable pionnière de l’abstraction, courant que j’aime tout particulièrement. Elle a fait date avec nombre de ses travaux, notamment ses œuvres textiles, qui sont restées et influencent toujours les designers d’aujourd’hui. Elle a lié l’art et la mode à une époque où ce n’était pas forcément évident, ni bien vu… Bref, elle a eu une telle influence qu’on peut toujours la ressentir aujourd’hui. Encore plus proche de nous, parmi la jeune génération d’artistes, il y en a beaucoup dont j’aime le travail et il serait dur de faire un choix. Je parlerai quand même de Prune Nourry, donc j’aime énormément le travail, et le propos qu’il y a derrière, Mickalene Thomas aussi dont je suis une grande admiratrice. Tiffany Bouelle, une artiste franco-japonaise qui est l’une des premières à avoir répondu à mon invitation dans le podcast. Nous sommes depuis devenues amies. Son travail, qui traite de sujets liés à la femme, au corps, au vieillissement, à l’image de soi, et son énergie (qui transparait dans son travail) m’inspirent énormément. J’aime beaucoup le travail d’Anne-Cécile Surga qui travaille le marbre d’une façon très étonnante et avec tant de talent ! Christine Safa, une artiste franco-libanaise dont le travail me touche beaucoup. Et puis Raphaële Anfré, Zahra Holm, Hermine Bourdin, Sabrina Vitali, Inès Longevial…

L’art est essentiellement visuel. Comment parvenir à en parler en podcast ?

Ce n’est effectivement pas une chose facile. J’essaye avant tout de faire en sorte d’amener mes invitées à décrire les œuvres dont elles me parlent. Pour les artistes, je les invite à me parler plus en détails de leur travail, à mettre des mots précis sur leur technique. Mais j’accompagne toujours le sonore par du visuel, en mettant en avant le travail de mes invitées, ou les œuvres dont nous parlons sur la page Instagram de Femmes d’art (@femmesdart_).

Si tu ne devais citer qu’une œuvre ? ou deux ?

Encore une question pas facile ! J’en citerai deux : « La fuite en Egypte » de Nicolas Poussin (Musée des Beaux-arts de Lyon). Car c’est devant ce tableau que j’ai commencé à aimer l’art, et la peinture, alors que j’étais assez jeune. J’étais fascinée par ce bleu, ces formes, et j’ai passé de longues heures à l’admirer. Je ne connaissais rien à l’art, je pense que j’ai dû le voir pour la première fois lors d’une sortie musée en primaire. Mais je me souviens m’être interrogée : comment est-ce possible de représenter avec tant de précision une scène, les gestes, les émotions des visages. Ensuite, « Jeune Finlandaise » de Sonia Delaunay (Centre Pompidou). Parce qu’il illustre combien cette artiste était avant-gardiste. Ce portrait, avec Le Nu Jaune, montre les prémices de l’utilisation des couleurs expressives par Sonia Delaunay. Elle s’inspire des Fauves, de Gauguin, de Matisse… Mais surtout, ces couleurs, et cette façon de peindre un portrait étaient tellement novatrices.

Des rencontres qui t’ont marquée dans le cadre de Femmes d’art ?

Oui, toutes ! Mais en particulier celles avec des femmes exceptionnelles, qui sont pour moi de vrais modèles. Je pense notamment à des galeristes comme Marion et Claudine Papillon, Nathalie Obadia, Magda Danysz, des femmes avec du flair, de la poigne, et un grand talent. Camille Morineau bien sûr, la fondatrice de AWARE qui est une femme passionnante et dont le travail est si précieux. Elle est un peu la pionnière, en France, de ces questionnements et de ce travail qui est fait pour remettre les femmes artistes à la place qu’elles méritent dans l’histoire de l’art et dans le monde de l’art aujourd’hui.

Des projets à venir ?

Oui ! Femmes d’art a fêté ses un an en novembre dernier, mais vu le contexte, je n’ai pas pu célébrer cette première année. Pourtant, une surprise se prépare, puisque j’ai demandé à une artiste que j’aime tout particulièrement d’imaginer un tee-shirt pour l’occasion. Il devrait – enfin – arriver sous peu ! 2021 va aussi être marquée par plusieurs gros projets : l’organisation d’une exposition, la sortie d’un magazine et, si c’est possible, la reprise du Club Femmes d’art, avec des conférences, des talks, des brunchs toujours autour d’une personnalité du monde de l’art.

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