Antoine Bonnet, du podcast Fluctuat Nec Mergitur : « J’ai posé le micro et je lui ai dit “Roman, raconte-moi” ». 

par | Sep 8, 2021 | Cultures, Les questionnaires, Sociétés | 0 commentaires

Cover du podcast Fluctuat nec mergitur à retrouver sur toutes les plateformes d’écoute – Crédit : Presse

Roman était à La Belle Equipe le 13 novembre 2015 avec son groupe d’amis pour l’anniversaire de sa compagne Jessica. Il raconte au micro de son ami Antoine le récit de cette soirée qui a marqué sa vie dans le podcast Fluctuat nec mergitur, les éclipsés de la ville lumière.  Alors que le procès des vingt accusés des attentats commence aujourd’hui, Antoine nous dévoile les coulisses de ce récit sincère, percutant et inédit en quatre épisodes.

Salut Antoine, peux-tu te présenter et présenter ton podcast ?

Je m’appelle Antoine Bonnet, j’ai commencé dans le journalisme avant de m’orienter vers la communication et j’ai créé le podcast Fluctuat nec Mergitur, les éclipsés de la ville lumière (Racontellers) qui a pour point de départ la journée du 13 novembre 2015 racontée par mon ami Roman. C’est un récit chronologique qui aborde les années qui séparent Roman de cette date à aujourd’hui. Il raconte les répercussions de cet événement et la manière dont il s’est reconstruit depuis. Il parle de ce qu’il ressent depuis le sauvetage de sa petite amie Jessica (gravement blessée pendant l’attentat), du jour J jusqu’à son appréhension du procès qui aura lieu en septembre 2021.

Est-ce toi qui gère la production ?

C’est un projet qui s’est fait « en famille » et qui sort tout droit du cœur.  Un ami qui fait du beat making, Amin, a réalisé toutes les instrus qu’on entend dans le podcast ; j’ai demandé à Marko (qui était aussi présent à la Belle Equipe) de créer un morceau de rap, une autre amie, Camille, s’est occupée de l’identité visuelle et Sinan, mon ami photographe s’est chargé de shooter les visuels de fond que l’on aperçoit en couvertures. J’ai découvert le montage après l’enregistrement. En enregistrant j’avais conscience que c’était un récit inédit, super précieux, c’est pour ça que j’ai mis six mois à le monter ; je voulais faire les choses bien, ne pas me mettre la pression du temps pour sortir quelque chose de bancal dont Roman et moi n’aurions pas été fiers.

Comment as-tu eu l’idée de ce podcast ? Est-ce toi qui a proposé à Roman de raconter cette soirée du 13 novembre ?

Je n’aurais jamais osé lui demander de se replonger dans cette histoire qui est horrible si ce n’était pas son propre désir. Un ami m’avait prêté un micro car il savait que j’écoutais des podcasts et de mon côté je comptais faire des enregistrements par-ci par -là mais sans objectif précis. Et puis un jour, je bois un verre avec Roman qui me dit qu’il aimerait bien graver cette histoire dans le marbre. J’avais ce micro que j’utilisais partiellement, je lui ai donc proposé de passer à la maison pour enregistrer son récit, sans but précis. Je me disais, peut-être qu’on le publiera, peut-être qu’on l’enverra seulement à notre groupe d’amis.

Entre l’idée et le début de l’enregistrement, s’est-il passé beaucoup de temps ?

Pas du tout, j’ai posé le micro et je lui ai dit « Roman, raconte-moi ». J’ai entrecoupé son récit de questions mais je voulais que ce soit retranscris comme un monologue car je trouvais qu’un autre interlocuteur n’avait pas sa place.

“Pour que son récit soit définitivement gravé dans le marbre. Il sentait qu’au fil des années certains détails finissaient par s’effacer”

Pourquoi Roman avait-il envie de raconter son histoire ?

Roman souhaitait le faire pour sa famille, notamment pour que son petit neveu soit au courant de son histoire. Le podcast s’est imposé comme la solution pour lui laisser le temps d’expliquer, de rentrer en profondeur dans ce qu’il a ressenti.

Pourquoi as-tu voulu donner la parole à Roman via ce média particulièrement ?

Déjà pour le côté pratique, car j’avais ce micro et je savais qu’il était possible d’apprendre les rudiments du montage rapidement. C’est relativement simple à réaliser et peu coûteux à diffuser. C’est un format qui laisse la place aux récits longs, qui permet de s’immerger, de s’imaginer les scènes et de ressentir les émotions à travers la voix. Une autre donnée importante c’est que Roman est quelqu’un d’assez discret et n’avait pas du tout la volonté de s’afficher publiquement. Je pense que sa plus grande hantise aurait été qu’on le reconnaisse dans la rue. Il y a cette petite part d’ombre qui je pense lui convient très bien avec le podcast.

Qu’en attendait-il ?

Deux choses. La première c’est que ça représentait une étape dans sa reconstruction qui est longue et pas encore terminée. C’est l’une des premières choses en cinq ans qu’il a faite pour lui. La seconde c’est pour que son récit soit définitivement gravé dans le marbre. Il sentait qu’au fil des années certains détails finissaient par s’effacer, c’était donc le bon moment pour le faire. On a rendu sa parole immortelle et c’est tant mieux.

Vous l’avez enregistré chez toi.  Etait-ce nécessaire de parler à un ami, dans un environnement familier ? 

Roman ne l’aurait pas fait avec un journaliste. Depuis le 13 novembre, il ressent une certaine défiance envers les médias. Il a été pris en photo ce soir-là et s’est retrouvé malgré lui à la Une de plein de journaux, dans le monde entier. On se connait bien et il savait que j’aurai une oreille attentive et que je lui laisserais le temps nécessaire pour raconter. C’était sans pression aucune. Et le fait que ça se passe chez moi et pas dans un studio d’enregistrement a bien sûr compté. Il a oublié le micro, ce qui n’aurait sûrement pas été le cas avec un inconnu ou un professionnel. Il savait qu’avec moi il aurait toujours la possibilité de changer d’avis et qu’il ne se dépossédait pas de son récit.

La baseline du podcast est « Les éclipsés de la ville lumière », pourquoi ? Est-ce pour dire que l’on n’a pas assez donné la parole aux blessés et aux personnes présentes lors des attentats ?

Oui, c’est un sentiment partagé par ce groupe d’amis. Ce qui est paradoxal, c’est qu’ils n’ont jamais manifesté le besoin de s’exprimer auprès des médias. Mais ce qu’il en est ressorti et qui est un traumatisme, c’est le sensationnalisme des jours d’après. L’exemple de 66 minutes (M6) est assez parlant. La caméra se baladait entre les corps, les images n’étaient pas floutées, leurs échanges étaient sous-titrés.  Après ça, ils se sont protégés. Cependant ils ont le sentiment qu’on ne met pas beaucoup en lumière les récits de victimes et de la reconstruction qui est longue et difficile. Pour eux ce n’est pas juste une actualité, des Unes de journaux. Ce sont des événements qui les suivent toute leur vie. Pendant des années Roman est allé voir Jessica tous les jours à l’hôpital, c’était long et difficile. Un podcast ne suffit pas mais Roman tenait à ce que cette partie de l’histoire soit mise en lumière. C’est pour ça que j’ai pris ce positionnement-là dans le titre. C’est important de donner la parole aux anonymes.

Ces attentats du 13 novembre 2015 ont marqué tous les Parisiens et le monde entier. Quand on est concerné de près comme toi, avec des amis qui ont été victimes, comment on gère ça ?

Ce soir-là j’étais avec un ami, on regardait le match France-Allemagne et on s’était dit « on passera après ». On a appris ce qui s’est passé, on est allés dès le lendemain à l’hôpital, on a appris la mort de Victor (un ami de Roman). Toutes les étapes que Roman raconte dans le podcast. Être présent à leurs côtés était important mais à un moment j’ai eu le sentiment d’arriver au bout de cette contribution-là. J’ai décidé de quitter Paris un certain temps parce que j’estimais que j’avais fait l’éponge et je voulais me protéger.  Il fallait que je trouve une autre façon de les accompagner et de me rendre utile. J’ai toujours eu cette appétence pour les récits, j’adore écrire. Je me suis dit que la meilleure pièrre à l’édifice que je pouvais apporter c’était les aider à raconter ces choses-là, peu importe la manière. Si Roman avait écrit un bouquin, j’aurais proposé de l’accompagner dans l’écriture. J’avais envie de me sentir légitime. Ça me semblait nécessaire et je suis très fier qu’il ait eu confiance en moi et je lui serai éternellement reconnaissant puisque c’était une grande première pour moi. On s’est mutuellement poussés à faire des choses que l’on n’aurait jamais faites seuls :  lui, raconter son histoire ; moi, me lancer dans le podcast. C’est ce qui à mes yeux constitue les plus belles amitiés.

“Le podcast a intégré deux fois le top 15 des podcasts documentaires français sur Apple Podcasts”

Quelles sont les réactions ?

95% de nos amis l’ont écouté. Même s’ils connaissaient les grandes lignes, ils n’avaient pas tous les détails et ils ont trouvé que le travail réalisé par Roman était précieux et important. Ils ne sont pas tous familiers du podcast mais c’était l’occasion pour eux de s’y mettre. Les retours sont vraiment dithyrambiques et absolument pas objectifs (rires) !  Je reçois aussi des messages d’auditeurs que je ne connais pas et qui trouvent que c’est super important de valoriser ce type de récit. Je comprends les gens qui disent « je n’ai aucune envie de me replonger dans cette histoire. » mais globalement ceux qui en ont le courage sont embarqués dans le récit. Le fait que Jessica, qui ne souhaitait pas l’écouter au début, ait fait un retour hyper positif est pour moi la plus belle des récompenses. Je ne sais pas trop ce que ça vaut, mais il a intégré deux fois le top 15 des podcasts documentaires français sur Apple Podcasts !

Vas-tu lors des prochaines saisons donner la parole à d’autres victimes ou l’idée est vraiment de suivre Roman du jour de l’attentat à aujourd’hui ?

Il y a plusieurs options. La première est de continuer à donner la parole à Roman pendant le procès (qui commence le 8 septembre). La seconde est de recueillir le récit de Jessica avec un format et un angle différents, moins chronologique. La dernière serait de donner la parole au médecin qui s’est occupé de Jessica à son arrivée à l’hôpital  et qui se trouve être un ancien coloc et le grand frère de l’une de ses amies (également blessée ce soir-là). Il y a plusieurs histoires dans l’histoire qui, à mes yeux, méritent toutes d’être racontées.

Quels sont tes projets ?

Je vais réaliser la saison 2 de Fluctuat nec Mergitur et en parallèle je vais voyager et enregistrer pendant mes voyages. Ça va être une phase d’exploration !  Je n’ai qu’une envie, c’est de continuer à explorer l’univers du podcast et à progresser là-dedans. J’aimerais beaucoup pouvoir en faire une activité professionnelle à part entière.  Pour me suivre dans mes projets, je recommande de suivre mon compte Instagram @racontelleurs.

Tu écoutes beaucoup de podcast. En as-tu à nous conseiller ?

Bien sûr !  Détenues (Insiders), Les baladeurs (les others), Heure Indue (Le pod). Et ceux d’Arte Radio qui m’ont fait aimer le podcast : Crackopolis, Les braqueurs, la dernière séance…  J’aime les podcasts dans lesquels les histoires sont racontées de la façon la plus exhaustive et authentique possible.

Un mot pour la fin ?

Ce serait plutôt un encouragement global et une déclaration d’amour pour le podcast tel qu’il est aujourd’hui. J’ai la conviction que le podcast doit garder toute son authenticité et tout son intimisme pour préserver sa valeur. Profitons de la liberté qu’offre ce format, il reste un terrain immense à explorer et il ne faut pas hésiter à tenter des choses !

Le podcast Fluctuat nec mergitur, les éclipsés de la ville lumière est disponible sur Slate.fr 

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