© Pablo Heimplatz

 
Elle est la définition même du courage. Après avoir été mariée de force à 25 ans, Afshi Rani a trouvé en elle, et en elle seule, la force de dire non. Non à un code de l’honneur daté, non à des parents qui ne se préoccupent que du regard d’autrui, non à une vision de la vie trop sombre et trop étroite. Afshi Rani est dotée d’une belle énergie communicative et raconte son histoire avec l’envie d’inspirer et peut-être même de sauver des garçons et des filles qui pourraient être victimes de manipulation psychologique. Pour « Marcel/le », elle a accepté de se replonger dans ses souvenirs et d’y poser un regard tendre et honnête à la fois. 
Parle-moi de toi. Qui es-tu Afshi ?
J’ai trente ans, je vis à Lyon et je suis professeure de danse. 
 
A vingt-cinq ans, tu pars en vacances au Pakistan. Et c’est là que tout commence pour toi…. Peux-tu nous raconter ton histoire ? 
J’ai grandi dans une famille où les relations n’ont pas toujours été apaisées entre mes parents, mais également avec mes frères et soeurs. Je vivais toujours chez mes parents quand à 25 ans, je suis allée en vacances au Pakistan, le pays de mes parents. Je suis bilingue et j’essaie d’y aller tous les deux, trois ans environ. Mais cette fois, les choses avaient changé : je n’étais pas mariée. Par rapport à mon âge, j’étais en retard. Alors mon père a confié comme mission à ses soeurs de me trouver un prétendant. Ça parait fou mais à ce moment-là, j’avais une relation compliquée avec mon père. Mes tantes me disaient que me marier allait arranger tout ça, que j’allais lui faire honneur, que j’allais retrouver une alchimie avec lui. C’était mon père, il me manquait, alors je n’ai rien dit. Je voulais tant lui faire plaisir.  
 
A quel moment te présente-t-on ton futur mari ? 
Très vite. Je devais rester au Pakistan deux mois environ : de juillet à début septembre. Et il fallait que je sois mariée durant ce délai. Mes tantes paternelles ont pris leurs rôles très à coeur, même si je leur disais au début « Oubliez-moi ! Je suis là pour les vacances et profiter ! ». J’avais beau être ferme, elles ont sorti l’artillerie lourde, elles ont joué sur la corde sensible. Elles m’ont parlé de trois hommes, je crois qu’elles m’ont montré des photos aussi. Et elles ont organisé une rencontre entre la famille du deuxième prétendant et la mienne. 
 
Penses-tu que tu aurais pu dire « non » ? 
J’étais un légume ! Leur manipulation psychologique avait parfaitement marché. Elles exerçaient une telle pression mentale sur moi que je ne réfléchissais plus. La machine avait été enclenchée, je ne pouvais plus revenir en arrière. Et puis, j’avais retrouvé mon père. Il était resté en France, mais on se parlait beaucoup au téléphone, j’avais envie d’oublier le passé et de réunir mes proches dans l’amour. Je ne pouvais pas reculer.
 
Y avait-il quelqu’un dans ton entourage proche ou familial qui aurait pu t’aider avant le mariage ?
Sur place, mes cousines trouvaient ça normal. Les mariages arrangés, c’est courant. J’avais juste une soeur avec moi, mais trop jeune pour m’aider à réagir. Ma mère elle, a laissé faire. 
 
Et ensuite ? 
Et bien, mes tantes m’ont dit : « Mais le jour des fiançailles, organisons aussi le mariage, comme ça c’est fait. Toute ta famille est déjà là, ça fera des économies. On a juste à dire à ton père de prendre un billet et c’est fait ! ». Je n’ai rien vu venir, elles ne m’ont pas lâchée, c’était impossible de tout stopper.
 
Comment s’est déroulée ta cérémonie de mariage ? 
Mes tantes ont tout géré : la salle, les repas, les tenues, les bijoux, le maquillage… Je n’avais rien à faire, rien à préparer. Je me suis contentée de les suivre. Mon père est arrivé deux jours avant et en le cherchant à l’aéroport, j’ai compris que son rapprochement était calculé. Il n’avait été gentil que pour que je me marie et suive son plan. Trop tard pour faire machine arrière. 
 
Quel souvenir gardes-tu de cette journée ? 
Ça va paraître bizarre mais j’étais quelque part heureuse. J’étais une belle poupée féérique. J’étais vraiment animée par l’envie de rendre fiers mes parents. Je souriais même. D’ailleurs, mon père n’a pas apprécié et me l’a fait remarquer. Il m’a dit : « Chez nous, les mariées ne rient pas ». Ça m’a brisé le coeur. 
 
Comment s’est passée ta rencontre avec ton fiancé ? 
Elle ne s’est pas passée ! (rires) On n’avait pas le droit de se parler, donc on n’a pas échangé. Le jour du mariage, je me souviens que je le trouvais éteint. 
 
Qui était-il ?
C’était un étudiant de 25 ans, qui vivait chez ses parents. Il ne rêvait pas du tout de l’Europe. Venir me rejoindre pour vivre en France n’était pas dans ses projets.  
 
Comment se comportait-il avec toi ?
Il était absent. Jamais vraiment là. J’ai repoussé de trois semaines mon billet de retour pour le connaître un peu. Mais déjà, il ne venait jamais seul, donc pas de moments privés. Il n’avait pas du tout envie d’apprendre à me connaître. A la fin, j’ai fait un truc que je déteste mais je n’avais pas le choix : j’ai fouillé dans son téléphone et découvert des messages avec une autre fille. Je lui en ai parlé et il m’a avoué qu’il ne souhaitait pas m’épouser, qu’il ne voulait pas quitter le Pakistan mais qu’il ne briserait jamais notre mariage. C’était un déshonneur qu’il ne voulait pas imposer à sa famille. Comme on se plaisait quand même un peu, alors on a voulu essayer et donner une chance à notre couple. 

Comment s’est passé ton retour en France ? 
Je suis rentrée en France fin septembre et la relation à distance n’a pas du tout fonctionné : il ne faisait aucun effort. C’est tout juste si je recevais un texto par jour. Je suis retournée au Pakistan en février parce qu’on avait rendez-vous à l’ambassade française afin de lui obtenir un titre de séjour. C’était la catastrophe : il n’avait pas apporté les pièces nécessaires au dossier, on n’a pas pu obtenir de nouveau rendez-vous avant juin. J’étais agacée, je sentais qu’il essayait de gagner du temps, de repousser sa venue en France. Mais sur place, j’étais couverte de cadeaux et d’amour de ma famille, et la pilule est passée…

Combien de temps s’est-il passé avant que tu n’envisages de divorcer ? 
Trois mois. Il sentait bien que je n’allais pas abandonner, alors il a essayé de me salir en disant qu’il ne savait pas quelle vie je menais en France et que j’avais connu d’autres hommes. C’était la goutte d’eau. Je me suis sentie insultée. J’étais très, très en colère. 
 
Quel incident, quels détails t’ont poussé à dire « stop » ? 
Je n’avais aucun soutien de ma famille après cette insulte. Je pensais qu’on me soutiendrait et c’était le contraire. Donc je me suis dit : « C’est bon je pars ». C’est ce que j’ai fait, alors que je vivais encore chez mes parents à cette époque. J’ai coupé tout contact avec eux, j’avais un petit lien avec ma mère mais qui s’est brisé depuis. Mes frères et soeurs m’ont reproché mon égoïsme : « On va payer pour tes problèmes ». 
 
Que s’est-il passé ?
Je me suis retrouvée seule du jour au lendemain mais je me suis aussi sentie libre. Je n’avais plus de comptes à rendre à personne. J’avais mon travail, mon petit appart. Et j’ai finalement obtenu mon divorce au bout de trois ans.
 
Quand as-tu pu poser l’expression « mariage forcé » sur ton histoire ? 
Tard. Je faisais un gros déni de cette période, je n’en ai pas parlé pendant longtemps. C’est par hasard sur mon compte TikTok, durant un live quand on m’a posé des questions sur mon passé, ma vie que j’ai commencé à en parler. Sans le savoir, j’avais tapé dans une fourmilière.
 
Sur les réseaux sociaux, tu as su apporter un éclairage intéressant sur ton histoire. Comment as-tu trouvé le courage ?
Ça s’est fait malgré moi. Je ne pensais pas que mon parcours était inspirant mais après en avoir parlé sur mon compte  TikTok, j’ai commencé à crouler sous les messages, de femmes et d’hommes qui sont proches de ma situation. Du coup, j’en ai fait un combat. 
Aujourd’hui, quand tu repenses à cette époque, à quoi penses-tu ?  
Je suis fière d’avoir trouvé ma voie, d’avoir trouvé la force d’apporter de la lumière aux autres. 
 
Qu’aurais-tu envie de dire à la jeune femme que tu étais en 2015 ?
Je lui dirais de ne pas lâcher l’affaire. « Continue, lâche rien ! La lumière et la liberté arrivent. N’aie aucun regret, ton intention dès le départ était bonne, tu n’as trompé personne, tu n’as pas menti. Ça va aller ». 
 
Aujourd’hui, comment vas-tu ? 
Je vais très bien ! Je suis certes, déçue de ne pas avoir ma famille à mes côtés mais tout va bien. J’écris un livre, j’avance doucement, je suis heureuse. 

Vous pouvez retrouver Afshi Rani sur TikTok ici, et sur Instagram là

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