© Jasmin Chew

Julie a 29 ans. Il y a deux ans, elle traverse un lourd épisode dépressif et comprend qu’elle est de nouveau au bord du précipice. Elle profite d’une courte minute de répit pour passer un coup de fil qui lui permettra de « réapprendre à exister » comme elle le dit elle-même. Julie décide de séjourner volontairement dans une clinique psychiatrique. Ce séjour lui a permis de (re)partir de zéro en commençant par s’aimer fort.

Il y a deux ans, vous prenez la décision d’entrer en hôpital psychiatrique, avec le poids d’une seconde dépression sur vos épaules. Quand avez-vous compris que vous n’alliez réellement pas bien ?
Je pense que je l’ai très rapidement ressenti, je connaissais déjà les symptômes. Quand j’ai vu mon envie de faire des choses s’estomper, j’ai espéré, mais je savais. Ça a suivi un petit choc émotionnel qui s’est accumulé à bien d’autres choses enfouies. J’ai par contre eu du mal à croire que c’était revenu, je me suis sentie faible, ratée. Si j’avais su !
Quand avez-vous posé un mot sur votre mal-être ? Qui vous a aidée à le faire ? 
C’est assez flou, mais je sais que je n’ai pas eu besoin d’officiellement mettre de mots. Quand j’ai commencé à avoir des paroles sombres, pessimistes et que je n’ai plus trouvé d’intérêt dans le fait de me lever, ni même de force, on a su. Contrairement à ma première dépression, j’ai moi-même demandé de l’aide en appelant cette clinique que je voyais comme ma « dernière chance ». J’avais un psychiatre à l’époque qui m’a complètement abandonnée même après que je lui dise clairement que je n’avais plus envie de vivre. Je me suis dit qu’il fallait que je fasse confiance, une dernière fois, au milieu psychiatrique. Et j’ai bien fait.
Comment se déroulait une journée type ? 
J’ai connu deux hospitalisations complètement opposées. La première, dans une structure publique, ressemblait aux clichés que l’on croise dans les films, qu’on entend dans les blagues. On passait notre temps à errer d’un coin à l’autre en essayant de s’occuper. L’ambiance était très anxiogène. Néanmoins, elle m’a sauvée en me coupant du monde et en me protégeant de moi-même. La seconde structure n’était pas un hôpital mais une clinique psychiatrique/maison de santé. J’ai rapidement eu un emploi du temps avec différentes activités. Généralement, on passait nous donner nos traitements à 7h30, puis le petit-déjeuner en chambre. Ma psychiatre attitrée venait faire un point de quinze minutes chaque matin et je pouvais ensuite sortir. La plupart du temps, je retrouvais les gens avec qui j’avais fait connaissance dans un petit parc. On finissait par avoir nos activités ensemble pour certain.es, un groupe de parole, une séance de sophrologie, un cours de sport, ou encore un atelier. Tout était centré sur le fait de ne jamais RIEN faire. Et puis la pause le midi, les activités ou du temps libre, et hop, le repas au self du soir avant de se détendre ensemble jusqu’à 21h. L’ambiance était chaleureuse, à en oublier le type de structure dans lequel on se trouvait tous et toutes.
Au cours de ce second séjour, aviez-vous peur ? 
J’ai eu une peur immense quand j’ai dû franchir la porte avec mes affaires en suivant un infirmier, j’ai cru que j’allais m’effondrer. Je réalisais à chaque pas ce qui allait se passer, la coupure à venir. On m’avait déposé, ce qui m’a aidé, mais les adieux étaient déchirants. Finalement c’est drôle, mais la peur qui a suivi quelques jours après a été celle de ne pas comprendre comment je pouvais déjà aller si bien. À m’en demander si je me mentais à moi-même, si ça allait revenir à la sortie et qu’ici ce n’était que caché. S’en est suivie la peur de sortir alors que je n’étais pas prête, puis celle d’être pressée de sortir mais de ne pas savoir si ça ira.
Comment gériez-vous la peur sur place ?
Le fait de faire un point avec ma psychiatre chaque matin mais aussi d’avoir un vrai rendez-vous avec une psychologue chaque semaine m’aidait beaucoup. Plus fort encore, l’entraide entre tous les résident.es Parce qu’on se comprenait. Je me suis même fait des ami.es qui le sont toujours deux ans après ! 
Quel autre sentiment prédominait ? 
C’était un condensé de beaucoup de choses, selon les journées et les activités. Il y avait de l’apaisement, parfois de l’anxiété. Mais j’ai tout de même été bien plus apaisée qu’autre chose. Le sentiment de revivre petit à petit aussi.
Quelle place tenait la douleur durant ce séjour ?
Elle était vive lors des groupes de parole. Ils m’ont énormément aidé à reconnaître, accepter et laisser derrière moi pas mal de choses. Mais il fallait oser mettre les mots. Elle était présente quand d’autres allaient mal mais j’ai appris à me protéger aussi. 
Et le bonheur ? 
Le bonheur est revenu petit à petit, parce que je me sentais protégée, loin du monde stressant de l’extérieur, et entourée de gens qui me comprenaient. J’avais le droit de ne penser qu’à moi, chose que je n’ai jamais pu faire dans ma vie. Jusqu’à mon hospitalisation.
Pour parler de la dépression, vous évoquez une voix et une ombre sur votre compte instagram. Comment se débarrasse-t-on d’elles ? 
En parlant à nos proches tout d’abord. Et en étant accompagné.es d’une manière ou d’une autre de façon professionnelle. Je ne suis pas médecin, mais que ce soit être suivi.es, hospitalisé.es pourquoi pas encadré.es dans des processus dits plus « naturels », il faut que d’autres interviennent. On ne s’en sort jamais seul.es. Communiquer est la clé, ne pas hésiter à se tourner vers d’autres si on ne vous comprend pas ou qu’on ne vous prend pas au sérieux. Tout le monde ne comprend pas hélas, les proches peuvent avoir du mal aussi, être maladroits. Quoiqu’il arrive, il faut de l’aide.
Que souhaitiez-vous trouver/apprendre/soigner lorsque vous avez décidé d’entrer dans cette clinique ?  
Je suis entrée en étant en dépression depuis des mois. Il y avait donc avant tout l’espoir de retrouver l’envie de vivre et non pas de disparaître. Mes idées noires me rongeaient. Cette voix qui me répétait en continu que rien ne sert, qu’il faut abandonner, j’avais besoin qu’on m’aide à la faire taire. J’ai appelé dans l’espoir d’un instant réapprendre à exister. La minute d’après je retombais, mais le rendez-vous était pris. Ça a été un mélange d’espoir et de désespoir, mais j’ai réussi à le vouloir. 
Avec les années passées, est-ce qu’il y a une chose que vous auriez faite différemment ?
C’est compliqué de répondre. Peut-être changer de professionnel de santé (celui que j’avais m’a même donné un traitement très peu recommandé pour mes troubles, alimentant directement les symptômes dépressifs). Sinon, je dirais rien. Je pense que je devais traverser, survivre. Il n’y a pas de solution miracle qui aurait pu naître grâce à un choix ou un autre. Quand la dépression surgit, il faut monter sur le ring. Elle ne vient pas d’un choix, d’une mauvaise combinaison d’actions, mais de facteurs extérieurs qui nous mettent à mal.
Qu’avez appris sur vous-même avec cette maladie ?
J’oublie souvent que j’ai « réussi ». J’imagine plus ça comme la fin de quelque chose de difficile, comme si je n’étais pas à l’origine de cette victoire. Mais quand je ne suis pas dans cette dévalorisation (qu’il va falloir que je gère), je me dis que j’ai appris que j’étais capable, seule, de renaître. Parce qu’une fois hospitalisée, on vous l’explique, vous avez tout entre les mains. Il faut l’accueillir. S’investir. Et j’ai réussi. J’ai compris à quel point j’étais une éponge émotionnelle qui prenait tous les maux de la Terre comme miens, au point de m’oublier totalement pour aider les autres. Je ne m’étais jamais accordée ça. J’ai donc appris à penser à moi (pas encore assez parfois). 
Sur les autres ? 
Concernant les autres, j’ai évidemment pu voir qui a su être là, mais j’ai aussi découvert à quel point on ne pouvait pas se douter de ce que les gens avaient traversé. Il y avait tellement de profils différents, beaucoup que je n’aurais pas associé à ce que j’ai su d’eux en groupe de paroles par exemple. Alors ce que j’en retiens, c’est à quel point il est nécessaire d’être bienveillant, parce qu’on ne sait pas ce qu’a vécu la personne souriante en face de nous. 
Qu’avez-vous envie de dire aux gens qui utilisent à la légère, les expressions type « je suis en dépression » ?
Alors je me bats à ce sujet sur les réseaux sociaux. Et la meilleure chose à faire, c’est d’informer la personne en face, parfois avec un peu de sarcasme quand elle semble têtue. Quand j’entends que le temps est « bipolaire » ou qu’une personne face à un truc un peu embêtant est « grave en dépression », c’est dur. J’ai beaucoup de mal avec le fait d’utiliser « se suicider » de façon légère aussi, évidemment. Alors j’essaye gentiment de reprendre la personne ou de lui donner la définition du trouble dont elle parle, sans la prendre de haut.
Si vous aviez en face de vous Julie, enfant, que lui diriez-vous ?  
Qu’elle doit absolument penser à elle. S’aimer. S’aimer avant le reste. Mais aussi profiter très fort de celles et ceux qu’elle aime.
Aujourd’hui, comment allez-vous ?
Et bien ça va. Les conditions sanitaires ont mis mon anxiété à rude épreuve, et ont complètement chamboulé ma vie (professionnellement surtout). Je traverse énormément de changements de vie. La peur de l’inconnu est donc très présente, mais j’essaye aussi d’accepter ça. Je dirais donc qu’il y a des petits bas, mais des hauts sur lesquels je veux me concentrer. Et je me le dis encore plus fort en rédigeant ces derniers mots de l’interview.

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2 Commentaires

  1. Noémie

    Merci infiniment pour ce témoignage qui donne de l’espoir. Je souhaite à Julie le meilleur pour les jours à venir ! :]

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    • Nolyne

      Merci à vous pour vos mots ! Belle journée !

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